Quatrième matin à Marrakech. J'ai pour la quatrième nuit consécutive très bien dormi. Il me semble que ce médicament me fait effet. Beaucoup d'effet. Mais je ne sais pas pourquoi. Sans doute parce que le mode de vie me convient. Il me ressemble. Maintenant. Pas il y a 30 ans.
Souvent je ne sais pas comment va se dérouler la journée. Ça me gène un peu malgré tout. Le soir, lorsque je fais le bilan de mes actions, il me semble que je n'ai rien vécu, rien pensé, rien vu. Ici, la moindre course, le moindre service, prend l'apparence d'une aventure. On palabre, on pèse le pour et le contre, on demande un avis à une tierce personne, un passant quelque fois prend part au débat sans qu'il y soit invité. Ce qui est surprenant, c'est qu'on l'écoute. Enfin... il s'écoute, car tous les autres s'écoutent et parlent en même temps. Les mots salivent, les gorges postillonnent, les palabres explosent.
J'ai enfin accès à Internet, et je ne suis plus obligé de descendre au café du coin pour tâter de la wifi. C'est vraiment un café. On y sert du café. Quelques fois du café au lait. D'autres fois des doubles café. Moi ! Ben... un jus d'orange. Mais avant, il faut aller acheter des oranges, retrouver la centrifugeuse, la laver, la réparer, retrouver le mode d'emploi - ah ! Bon, c'est quoi ça ? Ce soir je me sers d'une clé 3G au débit incertain, au clignotement autiste. Demain je retournerai au café (café noir, café au lait, double café). J'ai remarqué que le patron a acheté à la charrette du coin toute sa production d'orange Il ne sera pas pris au dépourvu demain. J'ai intérêt à commander un jus d'oranges, sinon il m'envoie toute sa réserve de vitamine C sur la tronche. Je vais en prendre deux, de jus. Deux jus d'oranges je vais prendre. Ouais ouais... Je vais pas le décevoir. Deux jus que je vais lui demander. Tiens, voilà que je clignote comme ma clé 3G.
Je n'aime pas les voitures au Maroc. Elles sont livrées à elles mêmes. Elle ne vont pas vite, mais avancent inéluctablement vers les piétons. Elles doivent être programmées pour ça. La guerre de la machine contre l'humain. C'est pas souvent l'humain qui gagne. Les conducteurs sont des enfants entourées de peluches. Ils ne conduisent pas. Ils jouent. Ils jouent à la Playstation. Leur joystick dans une main, le toit de leur véhicule ou leur portière sous l'autre qui tambourine au rythme d'une musique gnawa. Leur écran est devant. Que devant. Les côtés ! Connaissent pas. Comme les mulets dont la vision est cachée pour qu'il n'aient pas peur. Malgré leur flegme apparent, tout ce beau monde forment un peuple criards qui parlent fort. Ils ne s'engueulent pas, non non, ils parlent fort. Klaxonnent à la volée, tant, que l'on ne sait plus qui a commencé. Pourtant : aucun danger. Aucune raison. Les routes sont larges. Pourquoi demanderait-on au troupeau de mouton de s'arrêter au feux rouges puisque les motos ne s'arrêtent pas non plus. Hein ! Pourquoi ?
Tout simplement parce que le Maroc est une terre de contraste, et que le Marocain est un paradoxe.
C'est peut-être ça qui me sert de potion magique.